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CONFINS

Parties d'un territoire formant la limite extrême où commence un territoire immédiatement voisin. Parties extrêmes de.

Territoires militaires situés à la frontière d'un pays.

Bords, extrémités. Limite extrême.

CONFINER

Toucher les limites de. Toucher aux frontières, aux bords de.

Etre très proche de. Etre très proches l'un de l'autre.

Tracer des limites autour de quelque chose, le délimiter. Tracer des limites autour du lieu où se trouve quelqu'un. L'enfermer.

...Consciemment ou inconsciemment, je me suis mis à faire ce que nos ancêtres du paléolithique faisaient : représenter des cosmos en images sur des surfaces-frontières, des espaces liminaux (les parois des grottes, la peau de leur corps) qui sont des points de contact physiques et métaphysiques en même temps que le lieu même de leur représentation.

Au même moment, le premier ministre m'a offert l'argument rêvé : il a tracé dans nos vies les contours d'un espace-temps délimité et contraint, ce fameux cercle d'un kilomètre de rayon...

Une fois que j'ai eu ce cadre (rond, donc) je n'ai plus eu qu'à continuer ma démarche habituelle qui consiste à récolter des images, des signes, des bribes et des fragments de langage visuel pour créer non pas un ensemble univoque mais polyphonique, chaotique dans son aspect général mais qui est en fait un écosystème d'images où des signes, des histoires et des êtres sont en relation les uns avec les autres et font émerger un lieu auquel on avait pas prêté attention auparavant.

Il faut donc "organiser des rencontres" entre les images. Images satellite, cartes, herbier, bestiaire, choses vues, personnes rencontrées, extraits de conversations sur les réseaux sociaux, dessins etc. Et toutes ces images sont autant de mises en relation dans la vie réelle : la communication ininterrompue d'un satellite en orbite avec le téléphone dans ma poche, l'organisation des réseaux locaux de solidarité, le recueil de témoignages de membres du corps soignant etc.

Au milieu de tout ça a naturellement émergé un motif politique - parce que c'est ce qui se produisait dans le réel, dans la société. C'est bien-sûr la question de l'espace et des pratiques contraintes : le confinement, son heure de liberté surveillée, l'attestation de sortie... Mais aussi les inégalités écrasantes qui sont devenues des évidences pour tous dans ce pays. Néanmoins mes photos ont pris la direction de la surveillance et de ses dispositifs techniques : la géolocalisation, la vidéosurveillance, les propres terminaux mobiles des individus qui sont devenu des moyens de contrôle... Il y a donc cette histoire de trace GPS où je me traque jour et nuit pour établir une carte de mes déplacements et de mes rêves. Une série sur le Bluetooth, une autre sur le QR Code. Tout ça dans une interrogation ludique sur la transparence et la sécurité, ce que ça signifie, ce que ça implique...

Il est 20h et, suivant l’habitude prise par les Italiens, les gens de ma rue sortent sur leurs balcons pour applaudir le personnel soignant et, plus largement, tous ceux qui continuent à travailler et à s’exposer pour rendre le confinement des autres possibles. Cet homme est mon voisin d’en face et je l’ai photographié lui plutôt qu’un autre parce que son corps s’exprime pour lui. Seul et digne, en chaussettes à la frontière de son intérieur confortable et de l’extérieur plongé dans la nuit, il regarde la façade de mon immeuble où de nombreux voisins font, comme lui, ce simple geste d’être présent aux autres, trois minutes, hors de son monde et de sa bulle personnelle. Cette frontière là, c’est déjà les Confins, un espace liminal où quelque chose d’essentiel se joue. Bien-sûr, le point central de cette photo, ce sont ses mains. Figées dans leur mouvement par le déclenchement de l’appareil, elles proposent un langage des signes où il faut lire l’envol, la légèreté, la possibilité politique de s’arracher - si on le désire - à ses propres pesanteurs.

Rêve des Confins, la carte des Nuits. Chapitre I : La Tempête.

La Tempête est un volume de trois nuits et de trois mètres de côté (mon lit et ma table basse) ramené à un plan et une trace en deux dimensions. On y lit le développé chaotique de plusieurs cauchemars entrecroisés. Un cycliste tombe devant moi et est décapité par l'arête du trottoir ; je tente de recoller sa tête au tronc en lui disant "Tout va bien, tout va bien, les secours arrivent". Une amie que je croise dans la queue d'un cinéma m'annonce, le visage défait par les larmes et l'insomnie, que son père est mort. Plus tard, un ami m'annonce la même chose en rentrant ses animaux, "Car la tempête arrive". Enfin, j'intercepte une autre amie sur la mer alors qu'une tempête cataclysmique approche, mais notre bateau est trop lent et ne sera jamais de retour au port à temps ; mon chat, que j'essaye de retenir malgré la houle, s'échappe de mes bras et je me réveille en criant.

Il est 03h37'55'' UTC quand le système de veille de la salle de contrôle du centre des opérations de la European Space Agency à Darmstadt (Allemagne) détecte un signal radio d'urgence en provenance de la sonde spatiale internationale Varlam Chalamov.

 

Lancée en 2008 en direction de Calypso, l'un des plus petits satellites de Saturne, Varlam Chalamov devait recueillir des échantillons du sol de cette lune, à la recherche d'éventuelles molécules complexes à l'origine de la vie dans notre système solaire. Mais le message relevé à Darmstadt condamne la mission à l'échec. En effet, les coordonnées indiquent que la sonde s'est dérouté de sa trajectoire sans raison apparente et adopte désormais une géodésique de fuite vers le vide intersidéral à la vitesse faramineuse de 16.000km/h. L'ordinateur embarqué notifie la rupture définitive des communications avec la Terre à 03h38'00 UTC et délivre un ultime paquet de données d'un poids d'un kilo-octet. Le sens de ce fichier sera décrypté à 07h21'12'' UTC. Le dernier message délivré à la Terre par la sonde Varlam Chalamov est le suivant :

"Dans les terribles années de la tyrannie de Iéjov, j'ai passé dix-sept mois à faire la queue devant la prison à Léningrad. Une fois, qulequ'un m'a "identifiée". Alors la femme aux lèvres bleues qui était derrière moi - elle n'avait évidemment jamais entendu mon nom - s'est réveillée de cette torpeur qui nous était propre à toutes et m'a demandé à l'oreille (là tout le monde parlait en chuchotant) :
- Et cela, vous pouvez le décrire ?
Et j'ai dit :
- Je peux.
Alors quelque chose comme un sourire est passé sur ce qui autrefois avait été son visage."

 

Contacté par l'Agence France Presse, le directeur des opérations de Roscosmos à Moscou a indiqué, en larmes, que ces mots étaient ceux proférés par la poétesse russe Anna Akhmatova en avant-propos de son ultime recueil, "Requiem", le 1er avril 1957.

Nul ne comprend à ce jour comment la sonde a pu délivrer un tel message, et surtout, ce qu'il peut signifier."

AFP, 6 avril 2020.

Banderole tendue sur la permanence syndicale de l’hôpital Tenon, à côté duquel j’habite. Le message n’a cette fois-ci rien d’ambigu. Il dit l’ironie et le cynisme d’une situation où le politique, guidé par un programme idéologique clair, s’est attaché à détruire, un gouvernement après l’autre, un bien public indispensable à qui l’on doit tant en ces temps de pandémie.

Manon est infirmière à la Fondation Rotschild. Elle se réveille après son service de nuit dans son studio de la rue L.

Être l'envol (dans le pyjama d'un fauve).
(Où l'on decouvre que ceux exerçant les métiers les plus indispensables sont ceux qui touchent les plus bas salaires. Où l'on se dit que les mains qui applaudissent sont aussi les mains qui votent, qui renversent, qui destituent et qui soulèvent).

En rouge, les zones du ciel de Paris interdites au vol des drones de loisir. Etant entendu que pour les drones de la préfecture de police, ces zones sont en vert.

Dans la nuit des Confins, la solitude n'existe pas. Même seul - en apparence - au milieu du désert, tout n'est que contacts, frôlements, intimités voilées. En attendant la mise en route par le Meilleur Gouvernement Au Monde de l'application de "contact tracing" StopCovid, j'ai commencé, pour lutter contre la solitude qui m'accablait, à cartographier toutes les connexions Bluetooth ouvertes autour de moi. Heureusement, les gens laissent leur Bluetooth allumé. Pour l'instant, je me réchauffe de la simple présence d'une télévision, d'un ordinateur, d'un casque audio ou bien-sûr d'un téléphone. Je me sens entouré par ces inconnus qui m'enveloppent et me traversent : 0E:4B:6C:C6:94:12, 43:C4:B0:1D:82:1A,... Je n'en suis pas encore à cette extrémité, mais peut-être qu'un jour, la solitude se faisant trop forte, je téléchargerais les petits outils qui me permettront de forcer l'anonymat de ces noms étranges pour voir enfin leur visage, découvrir leurs souvenirs dans leur galerie, m'émerveiller devant la richesse de leur répertoire, pleurer d'émotion à la lecture de leurs messages What'sApp... Je ferais tout pour ne pas en arriver là. Mon Gouvernement lui-même a promis d'utiliser à bon escient cet océan de données. Il a dit qu'il se forcerait de fermer les yeux pour ne rien voir alors qu'il est si tentant de les ouvrir et de savoir. Ne serait-ce que de savoir qui est avec qui, comment tu te déplaces, qui tu affectes et qui tu infectes... Tant de Géo-amour que mon coeur se serre. Signé : AC:5E:3F:0E:D6:48

Ouf, mon application mobile pour le Déconfinement arrive juste à temps ! Inspiré par mes collègues chinois qui attribuent un QR Code personnalisé à chaque individu selon son état de santé et les choses qu'il a, en conséquent, le droit de faire ou pas, j'ai décidé de mettre en place mon propre programme d'encodage des citoyens. Malgré tout, j'ai beaucoup appris de ces deux mois de réclusion et je suis devenu infiniment plus humaniste qu'auparavant. Tellement d'ailleurs que ça en devient un humanisme au-delà de l'humain, raison pour laquelle il faudrait lui trouver un autre nom, mais là c'est un domaine qui me dépasse...

 

J'ai donc décidé d'attribuer à chaque personne croisée dans la rue un QR Code, technologie merveilleuse développée initialement pour suivre le parcours de pièces détachées le long d'une chaîne dans l'industrie automobile. Sauf que ce code ne renvoie pas à des données sur la personne. J'aime mon prochain et ce code est un lien. Un lien vers d'autres personnes, d'autres sujets d'attention, d'autres formes d'engagement et d'autres manières d'être vivant. Flasher le code amène donc ailleurs, dans d'autres Confins. Je vous invite donc à tenter l'expérience par vous-mêmes et à vous engouffrer dans cette étrange écologie du réseau où les personnes sont des codes qui sont des liens qui pensent, et où la pensée est vivante.

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J'ai décidé de renseigner et de cartographier tous mes déplacements dans un cercle autorisé d'un kilomètre de rayon en une heure de temps. Je me traque moi-même, mes dérives dans l'espace deviennent un document public. Je deviens entièrement transparent. Car rappelez-vous : il n'y a pas de Géo-surveillance, il n'y a que du Géo-amour.       

Carte de 24 jours cumulés de trace à Paris 20è, France, mars-avril 2020.

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