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C’est l’histoire d’une petite ville de banlieue dont le monde a soudain appris le nom. Une ville prise par la grisaille de l’hiver et l’avancée des chars russes. Une ville que ses habitants ont fui, le coeur serré et l’âme emplie d’effroi, devant cette guerre inimaginable qui s’est abattue si soudainement sur leur vie et l’a disloquée.

Les réfugiés ont rêvé de revenir. Ils reviendront. Les centaines de jardins de Boutcha refleuriront. Mais il y aura désormais dans chaque printemps cette odeur d’hiver et de terre retournée. Les morts continueront longtemps de traîner leur muet désespoir dans les rues de la ville.

Chaque habitant de Boutcha sait l’exacte mesure de ce qu’il a perdu. Le prix réel du massacre est celui d’une forme d’insouciance, de paix et peut-être de bonheur. Nous qui ne vivons pas dans cette ville et dont les proches n’ont pas été retrouvés dans des trous hâtivement creusés, nous avons du mal à l’apprécier.

Mais quelque part à la surface du globe, des serveurs informatiques conservent les impressions révolues de ce monde. Les machines ne dorment jamais, iels rêvent. Dans cet océan profond des données — qui est aussi notre mémoire partagée, cybernétique — j’ai collecté quelques souvenirs de Boutcha, avant. C’est un jour de mai 2015. Je crois que c’est jour de marché et l’heure de sortie des écoles. J’ai voulu en faire un album, notre album de famille.


La ville de Boutcha (en ukrainien : Буча) dans l’oblast de Kyiv a été occupée par l’armée russe entre le 27 février et le 31 mars 2022. D’après les témoignages et les premières preuves matérielles, les soldats russes se sont livrés durant cette période à de nombreuses exactions qualifiables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Un bilan provisoire du massacre fait état de 400 morts.

Source des images : Google Street View

 

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